Le CPT et les gangs armés — deux visages d’un même mépris envers la nation

En Haïti, la population vit sous le poids de deux forces qui, en apparence opposées, infligent pourtant des souffrances comparables. D’un côté, des gangs armés occupent les quartiers, imposent leur loi, installent des chefs et contrôlent le quotidien. De l’autre, les membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) se livrent à des manœuvres d’accaparement de l’État, camouflées sous des habits institutionnels.

Cette réflexion survient à la suite de la réaction de Leslie Voltaire et de l’ensemble du Conseil présidentiel de transition à la proposition du secrétaire général de l’Organisation des États américains, selon laquelle, pour sortir Haïti de la crise, discuter avec les gangs serait également une option à envisager pour ramener la stabilité. Ainsi, fraîchement élu, le secrétaire de l’OEA pense que le choix le plus impérieux demeure la réédition de la logique de Madame Lalime, la fédération des gangs. Il propose ainsi une fédération incluant Viv Ansanm, le CPT, la Primature et la presse.

Le constat semble clair, selon le secrétaire de l’OEA, qu’il n’y a aucune différence entre ceux qui pillent, tuent, kidnappent le peuple et ceux qui pillent, tuent et kidnappent la nation, à savoir les dirigeants. Messieurs les gangs des rues comme ceux dans les bureaux et dans les studios de médias, la table ne peut même pas être desservie, car vous avez bouffé jusqu’aux couverts.

Ainsi, d’énormes similitudes apparaissent entre ces deux groupes qui détruisent le pays.

Tout comme les gangs désignent des chefs pour régner sur les zones qu’ils dominent, des conseillers comme Fritz Alphonse Jean et Leslie Voltaire nomment sans transparence des diplomates dans les consulats et ambassades. Ces choix, loin de répondre à une logique de compétence ou de réforme, s’inscrivent dans une stratégie d’extension du pouvoir et d’exploitation du Trésor à l’échelle internationale.

De manière parallèle, les gangs rackettent ouvertement les citoyens dans les marchés, aux coins de rue ou dans les transports. Mais au sommet de l’État, des figures telles que Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire sont accusées de détourner les ressources des institutions publiques, notamment de la Banque Nationale de Crédit, en vampirisant les taxes déjà versées par une population exsangue.

Sur les routes, les bandits dressent des postes de péage illégaux. Dans les airs, les responsables politiques font pire encore. Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aîné et la compagnie Sunrise, avec le soutien des membres du Conseil, imposent des frais de voyage astronomiques sur les vols domestiques, restreignant ainsi la liberté de mouvement à une élite économique.

Le mépris de la souffrance populaire devient presque une politique d’État. Alors que les gangs ignorent délibérément les cris des familles déplacées, Laurent Saint-Cyr, conseiller présidentiel, choisit le mutisme et les escapades internationales, encaissant généreusement des per diem pendant que les hôpitaux ferment et que les écoles sombrent.

Le mensonge et la duplicité unissent aussi ces deux mondes. Les gangs promettent la sécurité, puis sèment la terreur. Le conseiller Edgard Leblanc, de son côté, multiplie les discours trompeurs, prétend représenter l’espoir tout en collaborant avec des figures impliquées dans le scandale de la BNC, préservant ainsi les réseaux de prédation qui minent l’État.

À ce tableau s’ajoute un acteur central, une partie de la presse. Loin d’informer, certains médias se muent en bras armé dialectique du Conseil présidentiel, diffusant des narratifs soigneusement construits pour confondre, manipuler ou détourner l’attention de la population. La désinformation devient une stratégie de gouvernance, un rempart contre la révolte populaire.

Et pourtant, une question demeure. Pourquoi deux entités qui se ressemblent tant dans leurs actes, dans leurs cibles et dans leur mépris envers le peuple, ne parviennent-elles pas à s’entendre ? Parce que leur rivalité ne porte pas sur l’avenir du pays, mais sur le contrôle du butin. L’État, les ressources, les privilèges deviennent les terrains de leur compétition, au mépris de toute morale ou volonté de reconstruction.

Face à cette réalité, il serait illusoire de penser qu’un seul “nettoyage” suffira. Il est impératif d’éradiquer à la fois les gangs des quartiers et les prédateurs du Conseil présidentiel. Les premiers tuent avec des armes. Les seconds tuent avec des accords, des décrets, des nominations. Tous participent au même effondrement.

La transition n’aura de sens que si elle renonce à toute compromission. Il ne suffit plus de dénoncer, il faut démanteler. Le peuple haïtien mérite un État juste, transparent et digne de ses luttes.

La Rédaction