La mort a pris son corps, mais pas sa lutte

Deux années déjà depuis que Liliane Pierre-Paul, icône du journalisme haïtien, a tiré sa révérence. Mais pour le peuple haïtien, pour les journalistes, pour les femmes debout et les esprits libres, sa voix ne s’est jamais tue. Elle continue de résonner dans un pays où l’engagement sincère est devenu rare, et où la vérité est une denrée aussi précieuse que dangereuse.

Née en 1953, Liliane Pierre-Paul avait très tôt compris que le journalisme, en Haïti, ne pouvait être neutre. Elle entre dans la profession à l’époque des derniers sursauts de la dictature des Duvalier. Opposante déclarée au régime de Jean-Claude Duvalier, elle est persécutée, arrêtée, puis contrainte à l’exil. Mais même à distance, elle reste engagée dans la lutte contre l’oppression.

Avec le retour à la démocratie dans les années 1990, elle devient l’une des figures les plus crédibles et respectées de la presse haïtienne. En 1994, elle cofonde Radio Kiskeya, un média indépendant et résolument engagé, qui devient rapidement une référence nationale. Liliane y mène des émissions politiques redoutées, notamment « Jounal 4è », où sa rigueur, sa maîtrise du créole et son ton sans concession en font la boussole morale d’un peuple souvent trahi.

Elle dénonçait les dérives du pouvoir, qu’il soit rouge ou bleu, civil ou militaire, national ou étranger. Elle critiquait l’incompétence, l’enrichissement illicite, la trahison des idéaux démocratiques. Sous la présidence de Michel Martelly, elle est violemment prise pour cible, qualifiée de « malprop », mais elle ne plie pas. Elle continue à dire ce que d’autres taisent. Elle ose là où d’autres calculent.

En 2014, elle est décorée Chevalière de la Légion d’Honneur par la République française. Une reconnaissance internationale de son courage, de son intégrité, de sa lutte pour une presse libre.

Mais c’est en Haïti que son héritage est le plus profond. Elle était la voix des sans-voix, la conscience d’un pays blessé, une femme debout dans un monde d’hommes puissants, parfois corrompus, souvent armés. Son combat dépasse la radio : il est culturel, social, féministe, démocratique. Elle ne faisait pas du journalisme, elle faisait résistance.

Sa mort, le 31 juillet 2023, a bouleversé la nation. Mais elle n’a pas surpris ceux qui savent que les grandes figures de l’histoire haïtienne meurent souvent épuisées, mal comprises, ou même isolées. Et pourtant, le peuple ne l’a pas oubliée. Deux ans plus tard, dans un pays plus fracturé que jamais, la voix de Liliane manque. Mais son exemple inspire.

Aujourd’hui, alors que la gangrène de la violence, de la corruption et du désespoir continue de ronger Haïti, le devoir de mémoire devient devoir de combat. Rappeler Liliane, c’est rallumer une lumière. C’est dire qu’il est encore possible de choisir l’honneur plutôt que la peur. La vérité plutôt que la complicité.

Liliane Pierre-Paul n’est pas une martyre à pleurer. Elle est une étincelle à transmettre.