Blocage judiciaire dans l’affaire de corruption impliquant trois conseillers présidents: le RNDDH dénonce l’attentisme du Parquet de Port-au-Prince

Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) a exprimé, dans un communiqué publié ce mardi 5 février, sa profonde préoccupation face à l’attitude jugée ambivalente et attentiste du Parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince dans le traitement du dossier de corruption impliquant trois conseillers présidents. Cette affaire, qui met en cause Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles pour des faits de corruption passive, de sollicitation de pots-de-vin et d’abus de fonction, suscite de vives inquiétudes quant au respect des principes de justice et d’équité dans le pays.

Le RNDDH rappelle dans le communiqué que le 2 octobre 2024, l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) avait transmis son rapport d’enquête au Parquet de Port-au-Prince, lequel, trois jours plus tard, a saisi le Cabinet d’instruction et sollicité l’ouverture d’une enquête judiciaire. Le magistrat instructeur Benjamin Felisme, désigné pour mener cette instruction, a procédé à l’analyse du dossier avant de le transmettre au Parquet le 17 janvier 2025 pour réquisitoire définitif, conformément aux procédures légales en vigueur.

Toutefois, près d’un mois plus tard, Maître Frantz Monclair, commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, retient toujours le dossier, en violation manifeste de l’article 7 de la loi du 26 juillet 1979 sur l’Appel pénal, qui prévoit un délai de cinq jours francs pour rendre son réquisitoire définitif et retourner le dossier au juge d’instruction. Ce blocage constitue, selon le RNDDH, une entrave flagrante au bon déroulement de l’instruction et une obstruction au principe fondamental de célérité judiciaire.

Le RNDDH pointe du doigt une attitude contradictoire et préjudiciable à la bonne administration de la justice. Alors que le Parquet de Port-au-Prince avait initialement saisi le juge d’instruction, il semble désormais œuvrer à ralentir, voire à empêcher l’avancement du dossier. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le transfert et le remplacement suspects de l’ancien commissaire du gouvernement, Maître Lionel Constant Bourgoin, qui avait saisi le cabinet d’instruction, suscitent des interrogations sur d’éventuelles pressions ou interventions politiques.

Par ailleurs, l’organisation de défense des droits humains relève une divergence inquiétante entre le Parquet de première instance et celui de la Cour d’appel de Port-au-Prince. Le magistrat Claude Jean, représentant le ministère public devant la Cour d’appel, a en effet sollicité une décision déclarant les conseillers présidents non justiciables devant un tribunal de droit commun et contestant la compétence du magistrat instructeur pour mener cette affaire. Or, la Cour d’appel, présidée par le juge Dufresne Guillaume, tarde à rendre son arrêt, alors même qu’elle avait ordonné le dépôt des pièces au délibéré depuis la dernière audience du 15 janvier 2025.

Le RNDDH craint que cette situation ne soit révélatrice d’un système judiciaire dysfonctionnel, dans lequel certaines autorités judiciaires cherchent à retarder indûment des procédures pour favoriser l’impunité des personnalités impliquées dans des actes de corruption.

Un dossier enlisé dans des calculs politiques


Le retard dans le traitement du dossier semble résulter d’un double jeu du Parquet de Port-au-Prince, qui, après avoir engagé des poursuites, tente aujourd’hui de bloquer l’instruction sous prétexte d’attendre l’arrêt-ordonnance de la Cour d’appel. Pourtant, le RNDDH rappelle que cet arrêt, même lorsqu’il sera rendu, ne pourra être opposé au magistrat instructeur. Conformément à l’article 13 de la loi du 26 juillet 1979, l’appel interjeté par les conseillers présidents contre leur mandat de comparution n’a pas d’effet suspensif. Seule une ordonnance de clôture du juge d’instruction, si elle était contestée, pourrait suspendre le traitement du dossier.

Ainsi, la rétention abusive du dossier par le Parquet de première instance constitue, selon l’organisation, une manœuvre dilatoire visant à entraver la justice. Le RNDDH estime que Maître Frantz Monclair, en gardant le dossier au-delà du délai légal, fait obstruction à la justice et pourrait être passible d’une action en prise à partie, conformément à l’article 7 de la loi sur l’Appel pénal.

Un appel à l’indépendance de la justice
Face à cette situation alarmante, le RNDDH en appelle à la responsabilité du ministre de la Justice et de la Sécurité publique, le Dr Patrick Pélissier. Il exhorte ce dernier à intervenir afin de garantir l’application des principes de justice et de transparence dans ce dossier. L’État haïtien, principal lésé dans cette affaire, pourrait d’ailleurs se constituer partie civile par le biais de la Direction Générale des Impôts (DGI), conformément à l’article 2 du décret du 28 septembre 1987, qui lui confère ce rôle.

L’organisation rappelle que la lutte contre la corruption est essentielle à la réalisation des droits économiques et sociaux des citoyens haïtiens. L’impunité des hauts responsables administratifs impliqués dans des affaires de malversations porte atteinte à l’intégrité de l’État et compromet les efforts de redressement économique et social.

Ainsi, le RNDDH insiste sur la nécessité pour les autorités judiciaires de garantir un traitement impartial et diligent de cette affaire. L’issue de ce dossier constituera un test crucial pour évaluer la réelle volonté de l’État haïtien à rompre avec la culture de l’impunité et à instaurer un système judiciaire crédible, capable de répondre aux attentes de la population en matière de lutte contre la corruption.

Le dossier de corruption des trois conseillers présidents cristallise l’attention de l’opinion publique et des observateurs de la justice haïtienne. Son évolution mettra à l’épreuve la capacité du système judiciaire à traiter des affaires sensibles impliquant des personnalités influentes.

L’inaction prolongée du Parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince suscite des craintes légitimes quant à une instrumentalisation de la justice pour protéger des intérêts particuliers. Dans ce contexte, le RNDDH exhorte l’ensemble des acteurs judiciaires à respecter les principes de transparence et d’indépendance qui doivent guider toute procédure judiciaire.

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