
L’industrie de l’anguille en Haïti est un secteur à la fois lucratif et opaque. Derrière une activité économique en apparence légitime se cache un vaste réseau criminel impliquant des trafiquants, des acteurs politiques et économiques influents, et des circuits de blanchiment d’argent. Un récent rapport des Nations Unies met en lumière l’implication croissante de réseaux criminels transnationaux dans ce commerce, révélant des liens entre le trafic d’anguilles et d’autres activités illicites telles que le trafic de drogue et la corruption.
La récolte et l’exportation d’anguilles juvéniles en Haïti représentent une manne financière considérable. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le prix du kilogramme d’anguille varie entre 5 000 et 6 000 dollars, une somme bien supérieure au prix du kilogramme de cocaïne, estimé à 3 000 dollars. Cette rentabilité exceptionnelle attise les convoitises et favorise le développement d’un marché parallèle, où la réglementation est contournée au profit de gains colossaux.
Les données recueillies auprès d’informateurs clés montrent que les largages aériens de cargaisons d’anguilles en Haïti entre 1997 et 2000 oscillaient entre 250 et 400 kg, tandis que les expéditions maritimes atteignaient entre 600 et 1 000 kg. Ces chiffres illustrent l’ampleur du commerce et la structuration d’une véritable industrie parallèle.
Un marché sous l’emprise du crime organisé
Les réseaux criminels exploitent les failles du système réglementaire et financier pour prospérer. Le rapport des Nations Unies souligne que les trafiquants utilisent des sociétés écrans et des intermédiaires pour masquer l’origine des fonds et dissimuler la provenance des anguilles.
L’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) a récemment constaté une hausse de la contrebande d’anguilles européennes, un phénomène qui se retrouve également dans la filière haïtienne. La criminalité organisée s’infiltre aussi bien dans les circuits légaux que clandestins, exploitant la forte demande asiatique pour ce produit.
En Haïti, des entrepreneurs liés à l’Association nationale pour la protection des ressources aquatiques sont accusés d’irrégularités et de fixation déloyale des prix, ce qui laisse supposer un contrôle monopolistique de la filière par un petit groupe influent.
Blanchiment d’argent et corruption
Derrière cette industrie se cache un système de blanchiment d’argent sophistiqué. Plusieurs acteurs du commerce de l’anguille sont soupçonnés d’utiliser cette activité pour blanchir des fonds issus du trafic de drogue.
Le Groupe d’action financière (GAFI) a identifié le commerce illégal d’espèces sauvages comme un vecteur de blanchiment d’argent facilitant la corruption et menaçant l’économie légitime. En exploitant les faiblesses du secteur financier et non financier, les criminels réussissent à disperser et cacher leurs revenus tout en échappant aux radars des autorités.
Malgré les preuves accablantes, les autorités haïtiennes et internationales peinent à contenir l’expansion de ces réseaux criminels. Le rapport des Nations Unies indique que les enquêtes sur les aspects financiers du trafic d’anguilles sont rares, ce qui laisse le champ libre aux trafiquants pour poursuivre leurs activités en toute impunité.
Le manque de volonté politique et les soupçons de collusion entre certains acteurs économiques et politiques puissants rendent la lutte contre ce commerce encore plus difficile. Certains observateurs avancent que plusieurs dirigeants influents seraient directement impliqués dans ces trafics, rendant toute tentative de régulation inefficace.
Le commerce de l’anguille en Haïti ne se limite pas à une simple activité de pêche : il s’agit d’un véritable écosystème criminel transnational où s’entremêlent corruption, blanchiment d’argent et criminalité organisée. La forte rentabilité de ce commerce, combinée à un cadre réglementaire insuffisant, en fait une cible de choix pour les trafiquants.
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