
Pierre Espérance, longtemps perçu comme l’une des figures les plus crédibles du militantisme pour les droits humains en Haïti, s’éloigne désormais de cette vocation pour se perdre dans les méandres d’un militantisme politisé, inefficace et souvent contre-productif. De plus en plus isolé, brouillé avec des partenaires, décrié par une partie de la presse et glissant progressivement vers les pratiques de la politique politicienne, le directeur exécutif du RNDDH navigue à contre-courant de ses engagements d’origine.
Depuis l’installation du Conseil présidentiel de transition (CPT), Pierre Espérance multiplie les confrontations directes : d’abord contre le porte-parole adjoint de la PNH, qu’il accuse de liens avec des gangs du groupe G9, ensuite contre trois membres du CPT, impliqués dans l’affaire BNC. Pourtant, aucune de ces dénonciations n’a débouché sur des sanctions concrètes. Pis encore, elles ont affaibli sa voix, désormais perçue comme trop politisée et peu stratégique.
Ce virage partisan s’illustre notamment par son soutien indéfectible à l’ancien sénateur des Nippes, Nenel Cassy, figure controversée du Secteur démocratique et populaire. Sanctionné par le gouvernement canadien pour corruption et soutien financier à des gangs, et recherché par la PNH en raison de ses liens présumés avec le groupe armé « Viv Ansanm », Cassy bénéficie néanmoins du soutien d’Espérance, qui a critiqué la police pour l’avis de recherche émis contre son ami.
Un choix qui interroge : comment un défenseur des droits humains peut-il maintenir une telle proximité avec une personnalité aussi compromise ?
L’un de ses échecs retentissants reste sa tentative de faire révoquer le commissaire du gouvernement de Miragoâne, Ernest Muscadin. Espérance l’accuse publiquement de collusion avec des groupes armés de Gran Ravine et de pratiquer des exécutions extrajudiciaires. Pourtant, malgré la gravité des allégations, aucun mécanisme judiciaire ou institutionnel n’a suivi ses appels. Pire encore, Muscadin voit son image renforcée auprès de certains secteurs de la population, où il est perçu comme une figure de fermeté face à l’insécurité. Ce revers illustre l’érosion de l’influence d’Espérance, dont les dénonciations peinent désormais à produire des effets.
Cette confusion des rôles transparaît aussi dans son étrange positionnement face à la PNH. Alors que les organisations de défense des droits humains devraient documenter de manière indépendante les actions de la police, Espérance se comporte de plus en plus comme son porte-parole officieux. Il est souvent le premier à annoncer, avec des chiffres précis, le nombre de « bandits » tués ou arrêtés lors des opérations policières, relayant ainsi le narratif sécuritaire sans recul ni vérification indépendante.
Même des médias qui lui étaient proches prennent désormais leurs distances. Certaines émissions, longtemps considérées comme des espaces où Espérance avait carte blanche, ont récemment cessé de le recevoir régulièrement. Un cas révélateur : après la démobilisation de la Commission nationale du désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR) par le CPT, il n’a pas été invité à commenter ce dossier, alors même qu’il se présentait comme un acteur clé de cette décision. Une prise de distance qui souligne le malaise grandissant face à son comportement et à ses interventions jugées de moins en moins impartiales et souvent instrumentalisées.
Plusieurs figures de la société civile s’interrogent sur l’agenda réel d’un homme qui, tout en revendiquant son statut de défenseur des droits humains, semble engagé dans des batailles politiques, parfois personnelles, et teintées d’un certain opportunisme. Elles lui reprochent des attaques sélectives et des prises de position incohérentes.
Le malaise s’étend jusqu’au terrain. À Canapé-Vert, quartier sous la menace d’une attaque imminente des gangs, le chef de la brigade d’autodéfense locale a publiquement pris ses distances avec Espérance, qu’il accuse de « récupération politique » et de « double langage ». Une situation qui en dit long sur la perte de légitimité de celui qui était autrefois une voix respectée par tous les acteurs.
En voulant être sur tous les fronts, Pierre Espérance s’est embourbé dans une logique de dénonciation tous azimuts, sans résultats concrets. Son incapacité à trier ses alliés, son engagement partisan non assumé et sa tendance à se substituer aux institutions légitimes nuisent profondément à l’image du RNDDH, qui reste pourtant une organisation sérieuse et respectée.
Aujourd’hui, Espérance se trouve dans une impasse. Entre son rôle originel de défenseur des droits humains et ses ambitions politiques non avouées, il s’est engouffré dans une zone grise dangereuse, où la crédibilité se perd plus vite qu’elle ne se regagne. Dans une Haïti en quête de repères, la confusion de ses postures ne fait qu’ajouter au chaos ambiant.
Pour plusieurs observateurs, un repositionnement reste possible. Mais il exigerait une rupture claire avec les pratiques politiciennes et surtout une transparence totale sur ses intentions.
Face aux terroristes des quartiers populaires, du pouvoir, de la presse, du secteur privé et économique, ainsi qu’à la classe politique, la nation a besoin de figures fiables et engagées. Monsieur Espérance, vous êtes une valeur sûre en ce sens.
La Rédaction
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