Transition verrouillée, parole encadrée

Le Président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) s’adressera à la nation ce vendredi 20 juin 2025 à 11h, depuis la villa d’accueil. Un moment attendu, dans un contexte de crise multidimensionnelle où le pays vacille entre incertitude politique, terreur armée et exaspération populaire. Pourtant, c’est moins l’annonce en elle-même que la sélection des journalistes accrédités qui suscite des interrogations profondes.

Autour de la table : Marvel Dandin (Radio Kiskeya), Herold Jean François (Radio Ibo), Wendell Théodore (Radio Télé Métropole), Frantz Duval (Le Nouvelliste) et Gotson Pierre de Alter radio. Cinq figures respectées, certes, mais cinq visages qui incarnent, pour beaucoup, l’orthodoxie médiatique haïtienne, souvent perçue comme complice ou trop complaisante vis-à-vis du système politique dominant.

Où sont les voix dissidentes ? Où sont les jeunes journalistes de terrain ? Les médias communautaires ? Les plateformes qui osent questionner sans filtre ? Dans un moment où la parole du CPT devrait être confrontée à la diversité des sensibilités, le choix de ces interlocuteurs semble indiquer une volonté de contrôle plus que d’ouverture.

Ce casting médiatique pose une question fondamentale : peut-on vraiment parler à une nation sans écouter ses fractures ? Peut-on répondre à la colère d’un peuple en se limitant aux micros qui ont si souvent accompagné les virages mous, les transitions floues et les consensus élitistes ?

Alors que les quartiers populaires suffoquent, que les déplacés internes atteignent des chiffres alarmants, que la jeunesse s’enfuit ou se bat, l’image d’une parole présidentielle confiée à un cénacle de la presse institutionnelle envoie un message troublant : celui d’une transition entre les mains des mêmes relais que par le passé.

Ce choix éditorial n’est pas neutre. Il trahit une peur de la confrontation réelle, une stratégie de communication verrouillée dans un moment où seule la vérité, fût-elle brutale, pourrait encore éveiller un reste de confiance.

La démocratie ne se construit pas sur des dialogues feutrés. Elle exige du débat, du désordre, du choc parfois. Elle exige surtout de faire place à toutes les voix – même les plus inconfortables.