La marche vers la destinée – Un manifeste du Dr Duckenson Lorthé Bléma, ancien Ministre de la Santé Publique et de la Population

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Depuis le drame du 24 décembre 2024 ,aucune communication officielle n’a été rendue publique par le gouvernement ou les forces de sécurité. Aucune commission d’enquête indépendante n’a été lancée, et aucun responsable n’a été entendu par la justice.

Pour plusieurs observateurs, ce mutisme renforce le sentiment d’impunité qui entoure les attaques contre les infrastructures publiques en Haïti. Des voix au sein de la société civile s’interrogent : pourquoi une action aussi symbolique que la relance de l’hôpital central a-t-elle pu être si facilement compromise ? Pourquoi aucune autorité ne semble prête à en assumer les conséquences ou à garantir la reprise du projet ?

Le docteur Bléma : entre retrait institutionnel et présence publique

Six mois après l’incident, l’ancien ministre Bléma continue de s’exprimer sur le sujet. Dans un document intitulé « La marche vers la destinée », il revient sur l’événement et en tire un constat sévère sur l’état de l’appareil d’État. Sans accuser nommément, il évoque une « incapacité structurelle à protéger l’intérêt général » et appelle à une réflexion citoyenne autour des valeurs du service public.

L’homme affirme ne pas vouloir transformer cette prise de parole en carrière politique, mais son ton, ses références, et son positionnement actuel dans l’espace public laissent penser à une volonté de rester actif sur le terrain des idées et du débat.

L’épisode du 24 décembre apparaît aujourd’hui comme un révélateur de la crise multiforme qui traverse les institutions haïtiennes. L’impossibilité de rouvrir un hôpital dans la capitale, malgré une volonté affichée et des préparatifs avancés, soulève des questions fondamentales sur l’autorité de l’État, sa capacité à agir, et sa faculté à défendre ses propres projets.

Alors que la situation sécuritaire demeure critique à Port-au-Prince et que la population souffre d’un accès toujours plus réduit aux soins, l’affaire de l’HUEH reste un symbole : celui d’un pays où même les projets de reconstruction peuvent être stoppés net, sans explication, et dans l’indifférence officielle.


Sources :

Documents internes du Ministère de la Santé (décembre 2024)

Témoignages recueillis auprès du personnel médical présent ce jour-là

Communications écrites adressées aux instances sécuritaires (lettres datées du 16 au 22 décembre 2024)

Extrait du manifeste La marche vers la destinée, publié par le Dr Duckenson Lorthé Bléma, juin 2025

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“La marche vers la destinée”

… la mienne, la nôtre !

Un voyage à la fois personnel et collectif dans l’union, le partage, et la paix pour la transformation et le développement d’Haiti et le progrès de son peuple.

Dans mon recul et mes réflexions douloureuses pour comprendre et transcender la tragédie sanglante de décembre 2024 alors qu’en tant que Ministre de la Santé, nous nous apprêtions à rouvrir l’Hopital de l’Université d’État d’Haiti (HUEH), cette vision de transformation de notre Haiti et d’une destinée réalisable me hante.

Je ne cesse de penser et d’espérer que nous pouvons tous croire fermement que notre réalité d’aujourd’hui – une aberration dans notre histoire – ne nous définit pas en tant que peuple et ne doit, en aucun cas, nous écarter de cette marche vers notre destinée. Notre destinée de peuple fier, heureux, en paix, en sécurité, éduqué, et en santé évoluant dans un pays plein de charmes, en plein développement favorisé par un environnement socio-économique stable et prometteur.

En acceptant d’être à la tête du MSPP, j’avais la ferme conviction de pouvoir faire la différence, de redorer l’image du ministère affaibli et d’apporter des changements positifs et durables pour l’amélioration de la disponibilité, de l’accès et de l’utilisation de services de santé de qualité au bénéfice de la communauté. J’étais déterminé à couper court aux pratiques malsaines qui gangrènent notre secteur, à défier les intouchables, à s’attaquer aux dossiers sensibles tels les absentéistes chroniques, les hôpitaux fermés, l’inefficacité de certains directeurs, le manque de personnel responsable et responsabilisé, à conjuguer nos efforts et à mobiliser nos ressources et nos partenaires autour d’une vision et d’un focus axé, pour une fois, sur les besoins et les priorités de notre communauté.

Je croyais et je crois encore que notre grand défi pour le développement d’Haiti n’est pas le manque de ressources comme on se plait à se le répéter pour se justifier, mais plutôt notre déficit de vision, d’amour du pays, de courage, de compassion pour nos frères et sœurs qui croupissent dans la misère, de détermination de faire la différence, et de leadership éclairé.

Heureusement, bien d’amis, de collaborateurs et de partenaires ont cru que ces changements étaient possibles et se sont ralliés au Ministère pour l’appuyer et avancer.

C’est ainsi que, malgré le manque de collaboration de secteurs directement concernés et les multiples obstacles auxquels nous nous sommes confrontés, nous avons pu initier des changements importants avec tous les risques que cela comportaient, réaliser la réouverture de la maternité Isaïe Jeanty (Chancerelles), maternité desservant un si grand nombres de femmes et de nouveau-nés au cœur d’une zone assiégée et dite perdue; et que le 24 décembre suivant, veille de Noël, nous nous apprêtions à réouvrir l’Hôpital Général, le plus grand centre hospitalier du pays qui, quoique dans le voisinage même du palais national, demeurait fermé depuis plus d’un an, déniant ainsi des soins essentiels à toute une population sans alternative. Une absurdité et une honte pour nous tous, travailleurs de la santé!

Cette inauguration, qui aurait dû marquer une veille de Noël heureuse, un tournant positif et symbolique, a malheureusement tourné au drame quand elle a été interrompue par l’assaut de gens armés et la mort de deux journalistes et un policier dans l’exercice de leurs fonctions.

Avec ma fougue de jeune médecin et ma passion profonde pour mon pays et ce peuple, j’avais été trop vite en besogne, sûrement ; trop impatient, peut être, et finalement perçu par certains comme dérangeant et incontrôlable. Il a fallu donc m’assassiner moralement, me menacer et, finalement, m’évincer.

Ce 24 décembre n’a pas été simplement le jour d’une réouverture ratée, ou de l’interruption d’un rêve. Il n’a pas non plus été, comme le souhaitaient certains, la démolition d’un homme qui a tout sacrifié ou l’interruption de son rêve de faire la différence ; mais plutôt une confirmation de nos inconséquences, de nos jalousies, de nos problèmes, de nos systèmes défaillants, de notre incapacité collective, et de notre abandon de la cause d’un peuple qui a si peu et mérite tellement plus.

Ce 24 décembre, veille de Noël a, plus que tout, été pour moi, la confirmation de mes convictions, de mes valeurs, de ma foi inébranlable dans ce pays et, si besoin il en était, le ravivement de ma détermination de continuer à servir Haiti et son peuple, et à accompagner sa jeunesse dans cette marche collective à la recherche de notre identité perdue et vers cette destinée heureuse qui devra être sienne.

J’ai décidé de ne pas me décourager, de ne pas abandonner, et surtout de ne jamais, même pour un moment, croire que tout est perdu et que rien n’est possible. Non, je continue à croire en cette jeunesse, en sa capacité, et en sa destinée combien prometteuse, à croire que notre peuple se relèvera et remettra Haiti sur les rails du développement, qu’Haiti se relèvera, vivra, et brillera.

Je continuerai à jouer ma partition et à m’impliquer dans cette marche qui je sais, quelquefois, sera pénible, triste, et accablante. Mais, comme a dit l’autre … We shall overcome (nous vaincrons)! Et, Yes, we can !(Oui, nous pouvons!)

Je vous invite donc, jeunesse d’Haiti, à vous lever, à me rejoindre ainsi que tant d’autres dans cette marche, à ne pas rester spectateurs impassibles et impuissants mais à être des acteurs conscients des enjeux, engagés et décidés à mettre la main à la patte et, ensemble, à défier le statu quo, et faire la différence. Je vous exhorte à engager vos familles, vos amis, vos professeurs et à vous réunir sous l’amandier, sur les places, dans vos quartiers ; et à débattre les sujets sociaux, économiques, politiques et sécuritaires qui nous concernent.

Brase lide, respekte lide chak moun, aprann younn de lòt, chalenj têt nou e sitou pa chwazi wout ki pi fasil la ! Pèfeksyon pa ka yon bi, se aksyon ki pou bi, se sa nap chache avek imilite pou chanje chimen lè nou te mal panse ou lè nou te tronpe wout !

Cherchez à partagez vos énergies, votre passion pour Haiti, et le fruit de vos réflexions avec nos dirigeants, avec la société civile dans son ensemble, nos partenaires internationaux, nos bailleurs de fonds … Responsabilisez-les et rendez les imputables … participer aux débats…après tout ou avant tout, il s’agit de vous, de votre pays et de votre futur ! Pranl an men ! Pa kite pou se lòt ki panse pou ou ou ki fè pou ou, li pap nan enterèw !

Comptez sur moi pour vous soutenir, vous encourager et, pourquoi pas, vous accompagner !

“la marche vers la destinée” sera un voyage à la fois personnel et collectif, un chemin vers le progrès et la transformation du peuple Haïtien. J’y crois profondément…

Je suis un homme de foi et spécial dans le plan de Dieu, enraciné dans la conviction que chaque être humain est porteur d’un appel, et que chaque nation, aussi meurtrie soit elle, peut renaître. Souvenez-vous du Prophète Jérémie, il définit sa vie en fonction de son âge, des réalités politiques dans le pays. L’Éternel lui donne deux révélations :

  1. Il lui dit que malgré son jeune âge, cela ne change rien au plan qu’il a déjà tracé pour sa vie.
  2. Il lui donne une vision exceptionnelle, extraordinaire : « L’Eternel m’adressa encore la parole en ces termes: Que vois tu, Jérémie? Je répondis : Je vois une branche d’amandier.» (Jér 1:11)

L’amandier est le premier arbre du printemps, après un hiver rigoureux, la neige a rasé tout sur son passage, tout semble mort. On voit sortir une tige d’amandier, signe qu’il y a encore la vie. La neige qui couvre le sol, quelle que soit son épaisseur, ne peut changer ni annuler le plan de Dieu sur votre vie. C’est signé et scellé pour l’éternité.

“L’autre Haiti est pour bientôt”. Nous sommes un peuple béni.

Je vois cette Haïti nouvelle. Je la rêve, je la prépare, et je l’attends avec foi. Une Haïti debout, unie, digne, rayonnante. Une Haïti qui surprendra le monde par son redressement, sa force tranquille, son intelligence collective, sa créativité, sa beauté retrouvée. Une Haïti où nos enfants pourront apprendre en sécurité, se soigner dignement, travailler avec espoir et vivre avec fierté. Une Haïti où la justice ne sera pas un luxe, mais un pilier. Une Haïti où la paix ne sera pas une exception, mais la norme.
Mais ce rêve ne se réalisera pas dans l’isolement. Il se bâtira dans l’union, car l’union fait la force, et seule une nation rassemblée peut triompher des fractures du passé. Cette union commence avec des gestes simples : écouter l’autre, respecter sa dignité, refuser la haine, choisir l’effort, bâtir ensemble. Elle se renforce dans les familles, dans les écoles, dans les quartiers, dans les institutions. Elle s’exprime dans la volonté collective de changer, de reconstruire, de guérir.
Haïti n’est pas condamnée à l’échec. Elle est appelée à l’étonnement. Le monde nous regarde, parfois avec pitié, souvent avec scepticisme. Mais viendra le jour où ce même monde dira avec admiration : « Ce peuple s’est levé. Ce peuple a bâti. Ce peuple a vaincu. » Et ce jour viendra si, et seulement si, nous nous levons ensemble.
Alors oui, relevons-nous. Portons notre croix, mais avançons. Portons nos blessures, mais soignons-les. Refusons de vivre à genoux, d’abandonner notre terre, notre culture, notre foi. L’autre Haïti est pour bientôt. Elle n’est pas une utopie : elle est une promesse. À nous de l’embrasser avec foi, courage et amour.
Nous sommes un peuple béni. Et les bénédictions ne sont pas faites pour être gaspillées, mais pour être cultivées et partagées.

LES LACHES N’ECRIVENT PAS L’HISTOIRE…Seuls les braves en ont le courage !
Et moi, je choisis d’être de ceux qui croient encore. De ceux qui osent encore. De ceux qui marchent encore.

Dr Duckenson Lorthé BLEMA
Ancien Ministre de la Santé Publique
et de la Population (MSPP)