
Dans une continuité troublante de l’Unité de Village-de-Dieu (UVD) — une formation composée de membres du gang 5 Segond — une nouvelle entité civile armée, toujours illégale, fait son apparition. Cette initiative, pourrait-on dire, serait portée par le Premier ministre Fils-Aimé, avec l’appui visible de Pierre Espérance et de Rudy Sanon, figures jusqu’ici associées à une vision réformatrice de l’appareil sécuritaire.
Tout comme l’UVD, cette unité n’est encadrée par aucun dispositif juridique reconnu. Sa création reflète un glissement profond vers une forme de gouvernance parallèle où l’autorité publique se recompose autour d’acteurs armés non officiels. Au lieu d’affirmer la primauté de la loi, l’État semble désormais opter pour une logique de cohabitation pacifiée avec certains groupes armés, légitimant leur présence sous couvert d’apaisement.
La philosophie implicite de cette initiative pourrait se résumer ainsi : vivons avec nos gangs, pour le bonheur des uns — chefs de bande, responsables politiques, journalistes, défenseurs des droits humains et partenaires affairistes — mais certainement pas pour celui de la nation dans son ensemble.
Cette ligne de conduite consacre une hiérarchie tacite où l’intérêt commun est sacrifié à des ententes informelles, souvent opaques, entre le pouvoir central, des figures influentes de la société et des forces illégitimes.
Depuis la menace d’attaque des gangs de Viv Ansanm sur le quartier Canapé-Vert, dans la capitale, les regards se tournent vers un nouveau visage de la scène sécuritaire haïtienne : le commandant Samuel, ainsi connu, qui défile dans les rues avec ses soldats lourdement armés. Personne ne sait d’où proviennent ces armes.
Bénéficiant d’un appui symbolique de figures comme Rudy Sanon et Pierre Espérance, ce groupe se présente comme « du sang neuf », mais soulève davantage de questions qu’il n’offre de réponses.
Sous prétexte de sécurité ou d’engagement citoyen, il a été perçu par certains comme un contrepoids aux coalitions criminelles dirigées par l’ancien policier devenu chef de gang, Jimmy Chérizier. Pourtant, la frontière est mince. Quand un groupe armé se donne une légitimité publique sans aucun cadre légal, faut-il y voir une alternative citoyenne, un gang en gestation ou une mutation de la violence organisée ?
Dans un contexte où le port d’armes illégal est normalement associé à des réseaux de malfaiteurs, la légèreté avec laquelle ces démonstrations publiques de Samuel sont tolérées alarme. Aucun État de droit digne de ce nom ne peut ignorer la banalisation de la violence sous couvert d’initiatives communautaires.
Mais si ces hommes sont réellement en opposition à Viv Ansanm, pourquoi cette proximité dans les postures, les armes et les méthodes ? Quelle est la nature réelle de leur projet ? Se peut-il qu’une nouvelle guerre de territoires, idéologique ou armée, se profile entre factions rivales qui prétendent toutes « servir le peuple » ?
Au fond, cette confusion traduit l’échec du leadership politique et institutionnel à canaliser les besoins de sécurité et de représentation. Quand l’État est absent, d’autres prennent sa place.
La société civile, elle-même fracturée, semble hésiter entre soutien discret, prudence stratégique et rejet ouvert. Ce flou alimente l’hybridation entre militantisme, banditisme et ambitions politiques. Un danger pour la clarté du combat citoyen, pris en étau entre des gangs qui les tuent et brûlent leurs maisons, des brigades qui les extorquent sous prétexte de protection, et une police qui exige un droit de passage dans certaines zones pour circuler librement en voiture.
Plus que jamais, Haïti semble prise dans une spirale où le groupe de Samuel — qu’on pourrait appeler du « sang neuf » — n’est pas forcément synonyme de rupture ou d’opposition aux gangs armés.
Pour beaucoup, cette démarche signe une démission institutionnelle grave : celle d’un État qui, au lieu de restaurer son autorité par le droit, choisit encore une fois de composer avec la force illégale.
Ce pacte, même non écrit, nourrit la fragmentation sociale et renforce l’idée que la violence, si elle est habillée d’un uniforme ou adoubée par le pouvoir, peut se substituer à la légitimité républicaine.
La Rédaction