Prostitution privée en Haïti : Quand la crise économique ébranle la dignité humaine

Par Clinton Vital

Dans les ruelles sombres des quartiers résidentiels, dans les chambres discrètes des hôtels bon marché, et même derrière les écrans de téléphones portables, une réalité brutale s’installe silencieusement dans le paysage haïtien : la prostitution privée, déguisée, dissimulée, mais bien réelle. Ce ne sont plus seulement les marginaux ou les exclus du système qui s’y adonnent. Aujourd’hui, ce sont aussi des femmes mariées, des hommes respectés, des pères et mères de famille, qui troquent leur corps contre un repas, une recharge, un frais scolaire ou un loyer impayé.

« Mwen pa t janm panse m t ap fè sa. Men pitit mwen te grangou, gang pran kay mwen, travail mwen fèmen gang mete yo deyò, directè lekòl la ap banm presyon pou peye lekòl pitit mwen, epi mari m te pèdi travay li akoz kriz peyi a,Yon mesye te di lap ede m… men li te vle plis ke m te panse. »
— Temoignage d’une femme de 36 ans, mère de deux enfants, vivant à Carrefour.

Gen fanm kap fè sa e maril konn sa. Yo mete tèt yo ansanm. Moun nan pa vle mouri, yo chèche solisyon, menm si se vann kò yo. »
— Confidences d’un chauffeur de taxi-moto à delmas.

La misère a déplacé les lignes morales.

À Port-au-Prince, à Jacmel, aux Cayes comme au Cap-Haïtien, des voix murmurent ce que beaucoup savent mais que peu osent dire : la crise n’a pas seulement vidé les poches, elle a fracturé les repères. Des femmes mariées, acculées par les dettes, vendent leur intimité à des hommes fortunés pour subvenir aux besoins des enfants. Certains maris ferment les yeux, d’autres participent, y voyant une stratégie de survie.

Les hommes aussi ne sont pas épargnés. Nombreux sont ceux, notamment des jeunes, qui s’engagent dans des relations tarifées avec des femmes aisées ou des hommes influents. Ils deviennent des « gigolos » discrets, des compagnons à louer, dans un pays où l’économie informelle redéfinit la notion même de travail.

La prostitution en Haïti n’est plus seulement une activité de rue. Elle s’est numérisée, socialisée, intégrée. Sur les réseaux sociaux, via WhatsApp, sur TikTok ou dans des groupes privés, les codes se sont adaptés. Un emoji, une phrase codée, une photo suggestive suffisent à établir un tarif, un rendez-vous, un pacte silencieux.

Mais au-delà de la transaction, c’est l’humain qui s’effondre.

Ce phénomène alarmant est le reflet d’un État défaillant, d’une économie asphyxiée, d’une société à bout de souffle. Les Haïtiens ne se prostituent pas par plaisir. Ils le font pour survivre, dans une nation où l’espoir est devenu un luxe. Cette réalité doit nous interpeller, collectivement. Elle pose la question du rôle de l’État, de la place des valeurs, de la résilience des familles, et surtout de notre silence complice.

Il est temps de parler.
Il est temps d’agir.
Pas pour juger, mais pour comprendre. Pas pour condamner, mais pour bâtir un pays où vendre son corps ne soit plus une option de survie.