
Alors que le journaliste haïtien Jocelyn Justin, grièvement blessé depuis près de huit mois, dépérit dans un hôpital cubain sans soins appropriés, une alerte a été lancée par SOS Journalistes, dirigé par Joseph Guyler C. Delva. Pourtant, cet appel soulève des interrogations au sein même de la communauté médiatique haïtienne. Car si la situation du journaliste est incontestablement alarmante, le porte-voix qui la relaie est aujourd’hui discrédité aux yeux de nombreux confrères.
Plusieurs sources concordantes affirment en effet que Joseph Guyler C. Delva aurait reçu, à de nombreuses reprises, des fonds du ministère de la Justice destinés à l’accompagnement des journalistes victimes de violences, sans que ces ressources ne soient distribuées de manière équitable ou transparente. Certains professionnels de la presse affirment n’avoir jamais vu la couleur de ces aides. D’autres vont jusqu’à accuser SOS Journalistes de détourner des fonds en se servant des noms et de la douleur des blessés comme prétexte pour régler des affaires personnelles. Ces accusations, bien que non encore traitées par la justice, fragilisent aujourd’hui la légitimité morale de l’organisation et de son responsable, précisément au moment où une mobilisation sincère serait plus que jamais nécessaire.
Le cas de Jocelyn Justin reste, sur le fond, une tragédie humaine. Blessé lors des violences du 24 décembre 2024 dans les parages de l’Hôpital Général, il avait été transféré à Cuba pour subir une intervention maxillo-faciale, devenue aujourd’hui une urgence médicale vitale. L’opération prévue pour juillet 2025 n’a pas eu lieu. Depuis, Justin saigne de la bouche, parle avec douleur et dégage une odeur infecte ,symptôme d’une infection ou d’une nécrose grave. Les médecins cubains, face au vide administratif et diplomatique, refusent de prendre des responsabilités qu’ils estiment appartenir aux autorités haïtiennes. Le journaliste est donc suspendu dans un espace d’abandon, à la merci d’un État qui ne répond plus.
Rappelons que le 24 décembre 2024, deux journalistes, Jimmy Jean et Marckendy Natoux, avaient été tués, et plus d’une quinzaine d’autres blessés, lors d’une attaque armée survenue alors qu’ils couvraient un événement officiel organisé par le ministère de la Santé publique. Le ministre d’alors, Dr Duckenson Lorthé Bléma, avait été contraint de démissionner, accusé de ne pas avoir tenu compte du contexte sécuritaire hautement instable de la zone. Plusieurs observateurs estiment aujourd’hui qu’il a été sacrifié pour calmer la colère de l’opinion publique, alors même que la responsabilité réelle de la sécurité relevait d’autres institutions de l’État, notamment la police nationale et le CSPN.
Ce contexte dramatique révèle les failles criantes de l’administration publique, incapable d’assumer sa responsabilité envers les professionnels de l’information, et la fragilité d’une société civile fragmentée, parfois instrumentalisée. L’affaire Jocelyn Justin cristallise cette double crise : d’un côté, l’indifférence d’un gouvernement face à la souffrance d’un journaliste envoyé en mission officielle ; de l’autre, la perte de confiance envers ceux censés défendre ces victimes.
Il est pourtant important de reconnaître que, malgré les critiques, Joseph Guyler C. Delva a longtemps été une figure centrale du combat pour la liberté de la presse et la justice pour les journalistes en Haïti. Son engagement dans des dossiers sensibles, son plaidoyer constant pour la sécurité des professionnels de l’information, et son rôle dans la documentation de nombreuses violations ne peuvent être effacés d’un trait. Mais aujourd’hui, ce capital de crédibilité est mis à mal, et c’est l’ensemble du mouvement de défense des journalistes qui en subit les conséquences.
C’est pourquoi il est urgent non seulement que l’État haïtien prenne en charge, sans délai, la situation médicale de Jocelyn Justin, mais aussi que les acteurs de la société civile, et notamment ceux du monde médiatique, fassent leur propre introspection. La cause des journalistes mérite mieux que des luttes personnelles ou des détournements de confiance. Elle exige intégrité, rigueur, transparence et courage, pour que plus jamais un Jocelyn Justin ne soit oublié dans un lit d’hôpital à l’étranger, abandonné par ceux-là mêmes qui devaient le protéger.