
Alors que les autorités se félicitent de recettes douanières en progression plus de 9,1 milliards de gourdes encaissées en juin 2024, soit 115 % des prévisions , la réalité haïtienne raconte une tout autre histoire. Le pays est plongé dans une crise sécuritaire sans précédent : près de 5 000 personnes tuées entre octobre 2024 et juin 2025, plus de 1,3 million de déplacés internes, une économie en récession continue, un effondrement des recettes fiscales totales à seulement 5,2 % du PIB. Autant de signaux qui rappellent que l’illusion comptable ne peut masquer l’effondrement social et humain.
Les recettes douanières apparaissent artificiellement solides parce qu’elles reposent sur quelques importations essentielles fortement taxées et sur l’inflation, alors même que l’activité réelle s’effondre. Mais réduire la performance d’une institution douanière à la seule collecte est une erreur grave. Sa mission première est aussi de protéger les frontières, d’empêcher le passage d’armes et de munitions qui alimentent aujourd’hui la puissance de feu des gangs. Selon l’UNODC, ces derniers disposent d’arsenaux supérieurs à ceux de la police nationale, ce qui alimente homicides, kidnappings, paralysie des routes, fuite des capitaux et insécurité alimentaire.
La conséquence est dramatique : au lieu de financer écoles, hôpitaux ou infrastructures, l’État est contraint de réallouer ses maigres ressources à la sécurité et aux urgences sociales. En résulte une spirale d’effondrement économique et humain, où l’encaissement de milliards de gourdes ne pèse rien face à des milliers de vies perdues.
Ainsi, se glorifier d’une hausse des recettes douanières alors que le pays s’enfonce dans le chaos relève d’un aveuglement cynique. Une recette peut croître même quand la mission de protection échoue. Or, la vraie performance d’un État ne se mesure pas à la vitesse avec laquelle il remplit ses caisses, mais à sa capacité à protéger la vie et à assurer un avenir à son peuple. Ceux qui brandissent des colonnes de chiffres comme trophée confondent comptabilité et progrès. L’histoire les jugera, car aucun peuple ne survit longtemps quand la vie est sacrifiée sur l’autel des statistiques.
Jean Thony Lorthe